jeudi 17 avril 2014

THRILLER (1982)

Le coup de coeur

(1982)


J'avais deux idoles quand j'étais môme : Michael Jackson et mon cousin Guillaume. Guillaume il venait de Paris, et dans ma tronche de gamin normand Paris ça voulait dire tour Eiffel. Y'avait pas plus grand dans mes rêves de gosse, New York peut être, mais alors y'avait tout juste la place. Bref. Il m'épatait à tout coup mon cousin, parce qu'il venait de Paris déjà je vous l'ai dit mais aussi parce qu'il avait pas son pareil pour me raconter des craques. Un jour par exemple il m'a dit comme ça qu'il avait réussi à produire un petit Kaméhaméha en se concentrant à fond les ballons, juste un commencement. Rien de révolutionnaire mais cela lui avait quand même valu une semaine d'hosto qu'il m'avait raconté. Épuisement total que c'était le diagnostic. Vrai ou pas je m'en foutais bien, pourvu que ça m’émoustillait l'imaginaire.

Vous l'aurez compris, c'était un bon gros mythomane de compét' le Guillaume, mais y'avait quand même un sujet sur lequel il plaisantait pas : c'était sur Michael Jackson. C'était sa grande affaire MJ, et par ricochet c'est devenu la mienne aussi. Il connaissait tout sur lui, au point de devenir mon mentor en la matière. Alors quand il descendait comme ça de la capitale, il ramenait avec lui toute sa dévotion. Tout ce qui touchait de prés ou de loin à Bambi il le consignait dans des classeurs ; les coupures de presse, les photos de magazines, les badges, tout y passait. C'est comme ça que j'ai pu apprendre l'existence du caisson réfrigéré pour vivre plus longtemps, du chimpanzé Bubbles, de la maladie de peau qui fait changer de couleur et de bien d'autres réjouissances encore. Pour toutes les excentricités de l’énergumène il tenait registre Guillaume. Y'avait rien qui passait entre les mailles. Il était l'archiviste en chef du bullshit international en folie. C'était drôlement chronophage comme fonction.

Un jour, avant de s'en retourner dans son Paname et pour me féliciter de mes progrès fulgurants en Jacksonmania, il m'avait laissé sa cassette de Thriller. Attention pas n'importe laquelle de cassette : la VHS. Tel que je vous dis. J'étais content mais j'étais un peu blême aussi. Thriller c'était la chanson des morts-vivants, celle avec la voix caverneuse et le rire sardonique. J'étais petiot moi encore, les choses des ténèbres ça me concernait pas trop. Vous imaginez même pas à quel point elle me foutait les miquettes cette vidéo. C’était l'apogée de ma pétoche enfantine avec l'émission Mystéres. J'en dépotais dans mon falzar à plein tube, de plaisir et de peur mêlés. N'empêche que j'étais quand même sacrément fasciné par l'objet. Je la passais constamment c'te vidéo, et je faisais pareil avec la chanson. Longtemps j'aurais d'ailleurs été incapable de vous dire ce qu'il y'avait d'autres sur l'album Thriller. Pour moi c'était juste la chanson et le clip.

Et puis j'ai grandi. J'ai pratiqué une sorte de schisme avec mon enfance. J'ai balayé toutes mes anciennes idoles et les ai remplacé par d'autres. Et plus je grandissais, plus Michael rapetissait, jusqu'à devenir insignifiant à mes yeux. Tout juste si je suivais d'un œil distrait sa déliquescence physique et mentale au fil des années. Et puis un jour je suis tombé sur un coffret de cinq disques de Jacko pour une vingtaine d'euros. C'était avant l'inflation post mortem, genre deux trois semaines avant le trépas du bonhomme, quand il était encore has been (ce qui est assez ironique quand on y réfléchit). Evidemment dans le tas y'avait Thriller, l'album qui avait fait sauter la banque à l'époque. 

C'était un sacré bon album d'ailleurs Thriller, quand on y regarde de plus prés. Pas juste un simple produit marketing vulgaire. Non. C'était vraiment un projet avec une réelle vision, et mené par un artiste au talent hors norme. Tout simplement le parfait équilibre entre la musique et l'image. Entre le bijou et son écrin. Entre la musique blanche et la musique noire. Il ne contient pourtant que neuf chansons cet album, la qualité ayant prévalu sur la quantité. Neuf chansons seulement certes, mais pour quasiment autant de tubes. Billie Jean, Beat It, Thriller, Human Nature, Wanna Be Startin' Somethin', The Girl Is Mine, P.Y.T., j'ai même pas besoin de faire les présentations, à moins d'avoir vécu les trente dernières années dans une grotte ou à la Haye-du-Puits, vous les connaissez toutes. Tout le monde les connait. C'est que du lourd. Du très lourd même, fruit d'une hybridation tous azimuts savamment orchestrée par Quincy Jones. Pop, Funk, Rock, Soul, tout est finement brassé pour une orgie planétaire.

Mais l'album est loin de n'être qu'une suite de tubes servis par des clips spectaculaires, à part peut être "The Girl Is Mine" toutes les chansons sont excellentes, unies entre elles par une basse prédominante du début à la fin et aussi par une certaine suavité, produite notamment par les nappes discrètes de synthétiseurs. Le résultat est indéniablement à la hauteur de sa démesure ; le disque a du reste tout raflé sur son passage : disque d'or, de platine, de diamant, d'uranium, de kryptonite, tout ce que vous pouvez imaginer il l'a raflé.

Malheureusement, Thriller c'était aussi la boîte de Pandore pour l'industrie musicale, la porte d'entrée dans l’ère du tout puissant clip et de son matraquage intempestif. Une entrée certes brillante mais aux conséquences désastreuses. Ce fut le moment où le marketing sauvage s'engouffra pour finalement prendre l'ascendant sur la musique, où l'image et l'esbroufe commencèrent à devenir plus important que le talent. Et ça c'est quand même un brin emmerdant. Trois décennies plus tard la voie empruntée débouche sur l'égout, celui dans lequel patauge Lady Caca et Justin Bieber, entre autres démoulages merdeux.

M'enfin...

En tous cas quand il est mort Jacko, et qu'il a rejoint le grand neverland, je me suis surpris à écraser une petite larmichette. Sans doute en souvenir des bons moments passés à l'écouter.

Et puis c'était quand même le type du Moonwalk putain!


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