Le coup de coeur
(2005)
Il est bien gentil le Sufjan là, mais je crois bien qu'il s'est un peu payé nos trombinettes le jour où il a claironné vouloir produire une galette pour chacun des états zétazuniens. Soit l'équivalent de 50 galettes, vous imaginez ?! C'est bien simple, la seule fois où j'ai vu autant de galettes sortir d'un seul homme moi c'était place des Lices, à Rennes. Sept en l'espace d'une seule soirée. Et déjà c'était estomaquant comme performance. Alors quand le Sufjan s'est amené avec son projet des 50 galettes de l'oncle Sam, je me suis demandé s'il avait pas viré complètement fol le ricain troubadour. J'étais un peu sceptique sur les bords, quand bien même l'entreprise se révélait bigrement séduisante sur le papier.
Une bonne dizaine d'années plus tard, on va pas se cacher qu'on est loin du compte. Son petit délire de maniaque il aura duré le temps de deux albums seulement, Michigan en 2003 et Illinois en 2005. Mais si la quantité n'est pas (encore) au rendez vous, la qualité elle, est néanmoins bien présente. Car avec Illinois on touche du doigt l'un des albums les plus brillants de ce siècle commençant. Carrément ! Même pas peur de le dire. Avec ces deux petits albums le Sufjan mine de rien, il a redonné un peu de lustre à un genre qui fut bien trop souvent malmené dans l'histoire de la musique pop : le fameux album concept, d'habitude propice aux idées les plus fumeuses et aux délires les plus pompeux.
Mais dans le cas présent point de champion de flipper sourd-aveugle-muet-monocouille à l'horizon rassurez vous : Illinois parle de l'Illinois, tout simplement. Tous les lieux, événements ou personnages évoqués sont en effet liés d'une manière ou d'une autre avec l'état de Lincoln et vous trimbaleront aux quatre coins et aux quatre saisons de celui-ci. De l’arrière pays de Decatur à la puissante mégalopole Chicago en passant par la paisible Peoria. Et pour peu que vous soyez un peu curieux d'histoire et de géographie, Illinois incarne typiquement le genre de disque qui vous enrichira culturellement. Car il n'est en effet pas exclu que vous cherchiez à en savoir un peu plus sur des personnes telles que Carl Sandburg ou John Wayne Gacy Jr par la suite, par exemple, entre autres curiosités. Compris ? bande de cancres !
Musicalement l'objet ne s'offre toutefois pas entièrement à la première écoute. Plusieurs rotations sont nécessaires pour en découvrir toute la richesse et toute la sophistication. Seulement alors pourrez vous apprécier à leur juste valeur la finesse des textes et des orchestrations ainsi que la somptuosité des arrangements et des mélodies. Car l'album sait distribuer sa joliesse de façon éclatante. Avec un "Casimir Pulaski Day" aux cuivres tristounes, contant la perte d'un proche avec une pudeur propre à vous étreindre le cœur. Avec la frissonnante "John Wayne Gacy Jr", narrant avec une sensibilité éprouvante les forfaits diaboliques du célèbre serial-killer. Avec une "Chicago" à l'attrait pop irrésistible et à l'enthousiasme communicatif. Avec tant de choses encore, du banjo et des chœurs entraînants, et la voix magnifiquement suave de Sufjan pour guide touristique des environs. Le tout mis en cohérence par les nombreux intermèdes musicaux, pas toujours très intéressants je vous l'accorde, mais qui présentent néanmoins pour double avantage d'être courts et de donner du liant à l'ensemble de l'oeuvre.
Un peu rock, un peu country, beaucoup folk, passionnément pop, Illinois est un coup de maître par moment véritablement touché par la grâce. Un voyage fabuleux du côté du Midwest américain. Un album érudit aux qualités d'écriture indéniables et aux références ultra pointues. Une oeuvre magistrale, débordante d'intelligence et d'humanité marquant le point culminant de la carrière du songwriter originaire du Michigan. Parole de Saint-John. Et un saint ne saurait mentir.
En revanche la pochette est vraiment très laide c'est vrai. Mais bon, elle pourra toujours servir d'avatar à Lazein un de ces quatre pour le coup.
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